L’historiographie traditionnelle a longtemps présenté le monde rural d’Ancien Régime comme un monde clos, replié sur lui-même et hermétique à tout ferment de changement économique et social. Au sein de cet univers clos, les uniques acteurs en étaient les agriculteurs. Petits ou gros, simples exploitants ou possesseurs fonciers, les campagnards étaient invariablement dépeints sous les traits du paysan puisque la terre était universellement reconnue comme unique ressource pour les millions de ruraux qui composaient la société française à l’époque moderne. Ce schéma classique d’une société rurale prisonnière de la mono-activité agricole a conséquemment nié la capacité du monde rural à produire d’autres professions que celle d’agriculteur.
L’historiographie récente tend, au contraire, à réhabiliter l’existence d’activités para-agricoles dans les campagnes de l’ancienne France. À la suite des travaux d’Alain Belmont sur le groupe des artisans ruraux en Dauphiné, nous avons voulu éclairer un milieu socio-professionnel largement ignoré par la recherche historique, celui des marchands ruraux. Appréhendée à travers un large corpus de sources manuscrites, l’étude des marchands ruraux sera susceptible d’éclairer les mécanismes d’intégration des campagnes à l’économie globale d’Ancien Régime, les membres de ce milieu socio-professionnel apparaissant tout à tour comme témoins et acteurs privilégiés du desserrement économique des campagnes à l’époque moderne. En cela, nous suivrons la réflexion de Jean-Marc Morcieau selon laquelle « le groupe polymorphe des marchands ruraux […] fait partie de ces secteurs encore dans l’ombre dont les enquêtes livreront bientôt bon nombre de découvertes ».