Ce travail de recherche s'attache à étudier les représentations du voyage mises en circulation via le dispositif Instagram par un groupe d'utilisateurs – que nous définissons simplement comme globe-trotters dont la passion et la pratique de l'ailleurs sont posées comme dénominateurs communs.
L'étude du processus de construction d'identité sur le réseau social étudié nous permet dans un premier temps de comprendre à quelles modalités représentatives et techniques celle-ci est soumise. Il en découle la création d'une identité numérique narrative : celle d'un globe-trotter, à la fois acteur et narrateur, qui met en récit son expérience du voyage. Basée sur l'auto-qualification, l'identité est proclamée de façon arbitraire et se doit alors d'être performée de manière adéquate. En effet, l'existence d'un contrat communicationnel implicite passé avec un « public » induit pour l'instagramer globe-trotter la nécessité d'adopter des représentations attendues et de produire des signes pertinents. Nous remarquons par ailleurs que le modèle identitaire choisi est celui du voyageur, par opposition à celui du touriste. En se rattachant à la figure mythifiée du voyageur et se détachant de celle socialement dépréciée du touriste, le globe-trotter d'Instagram réactualise une dualité populaire et affirme sa volonté de se rattacher à un imaginaire commun préexistant.
Notre second temps d'étude consiste à tenter de mettre à jour les modèles narratifs et les récits de référence réinvestis par nos globe-trotters dans leur propre mise en récit et la performance de leur identité. L'exploration des grands récits, figures et discours fondateurs de notre imaginaire commun du « vrai voyage » nous permet de mettre en parallèle les productions contemporaines de nos globe-trotters et les pratiques et valeurs associées au mythique voyage. Il apparait que les « mises en récit » pratiquées sur Instagram s'effectuent en puisant dans cette grande fresque qu'est notre imaginaire du Voyage avec un grand « V » – selon les mêmes modèles, les mêmes histoires et les mêmes idéaux. De cette façon, les globe-trotters d'Instagram s'inscrivent dans la continuité du genre du récit de voyage, en en proposant une version 2.0.
Enfin, nous cherchons à questionner de façon critique les représentations mises à jour et leur « commun » : il s'avère, en effet, que les normes liées à l'inscription dans un groupe social et dans un genre narratif ainsi que les impératifs liés au dispositif et les exigences du public tendent à limiter la variabilité des expressions individuelles – notamment en induisant la nécessité de production de représentations (iconographiques et linguistiques) communes. Nous nous attardons ensuite à déterminer s'il est question d'une simple recherche de médiagénie et de symbolisme fort de la part des instagramers ou s'il s'agit de la véritable incarnation d'une conception contemporaine du voyage.