Le rapprochement entre ces deux univers du rap et de l’industrie du luxe semble a priori de l’ordre de la contradiction. Comment l’outil de domination et de distinction de la classe dominante incarné par le luxe pourrait-il s’associer à la création artistique presque militante du rap ? Pourtant l’engouement actuel des Maisons de Couture et autres marques de luxe à s’associer avec des célébrités du rap hip-hop américain semble de moins en moins étonner.
Cette association a pu devenir réalité grâce à un rapprochement d’abord idéologique, car si les rappeurs sont symboliquement liés aux luttes collectives des débuts de la culture musical rap, ils n’en restent pas moins que de simples héritiers pour qui l’égalité en droit est un acquis. En ce sens la lutte n’est plus un impératif.
Ce sont les aspirations et les enjeux financiers qui vont gouverner non seulement l’attitude de ces rappeurs, mais surtout l’association entre les deux industries : celle du luxe et celle du rap. Ces rappeurs ne font plus de rap underground mais du rap mainstream, sensé s’adresser à un public particulièrement large pour vendre en masse. Ces rappeurs deviennent de véritables businessmen et ainsi rompent avec les valeurs presqu’anti-système des pionniers du rap. Les luttes collectives ne sont plus au coeur de leur musique et l’image du rappeur gangsta n’est utilisée que pour offrir du frisson à un public en quête de bad boys.
Ainsi, ces rappeurs fortunés sont stratégiquement intéressants pour la communication de l’industrie du luxe qui, depuis sa réorganisation en conglomérats des années 90 (comme LVMH), cherche à se reconfigurer pour accroître les rentabilités. L’industrie du luxe se segmente et distingue trois niveaux de luxe : un luxe inaccessible, un luxe intermédiaire et un luxe accessible. Cette stratégie a pour objectif de conserver les consommateurs traditionnels et d’y allier des consommateurs grand public. Pour ces groupes de luxe il est question de vendre à une cible de consommateurs plus large des produits plus accessibles (parfums et cosmétiques par exemple) et ainsi accroître de manière exponentielle les rentabilités.
Pour les discours de l’industrie du luxe il désormais moins question de distinguer les hommes fortunés de la masse mais plutôt d’élire les hommes les plus audacieux et méritants. Ainsi les rappeurs incarnent à la perfection ces individus qui, malgré une origine d’apparence modeste (de plus en plus de rappeurs ne viennent plus de milieux modestes), ont réussi à se démarquer et faire partie de l’élite grâce à leur charisme et/ou talent. Les discours de l’industrie du luxe s’appuient alors sur l’image des rappeurs héritée des luttes collectives et de tout l’imaginaire de la culture populaire rap, sans pour autant côtoyer les « vrais » rappeurs underground.