Introduction : les médecins généralistes (MG) sont le premier recours de l’accès aux soins des exilés en situation de précarité et amenés à consulter dans des structures dédiées. La prise en charge des personnes migrantes représente une relation médecin-patient classiquement décrite dans la littérature comme complexe. Par la singularité qu’elle accueille – multiples spécificités, aspect transculturel et part de souffrance inhérente à la rupture du lien pour les patients déplacés – ces consultations sont imprégnées d’émotions. L’objectif principal de cette étude était de recueillir et d’identifier la nature des émotions des MG exerçant en structures dédiées, générées par la consultation avec un patient exilé. Les objectifs secondaires cherchaient à évaluer le vécu de cette expérience émotionnelle et la place des émotions, du point de vue des MG interrogés. Matériel et méthode : pour cela, une étude qualitative a été menée auprès de huit MG exerçant en structures dédiées, recrutés par échantillonnage raisonnée et systématique, complété par une méthode de proche en proche, en région Sud PACA. Les entretiens semi-dirigés ont été explorés par une analyse interprétative phénoménologique sémio-pragmatique. Résultats : la question de l’émotion s’est révélée centrale dans ces prises en charges. La modélisation de Peirce a abouti à la « proposition synthétique générale intégrative suivante » : « L’expérience émotionnelle des MG exerçant en structures dédiées auprès des patients exilés, est un phénomène évolutif, qui s’organise en trois moments phénoménologiques allant de :L’association d’émotions impactantes en lien avec la situation des patients exilés, représentant l’empathie et les possibilités d’action des médecins autour de la prise en charge dans ces situations complexes, et de ressentis résultant de la rencontre transculturelle dans un contexte de précarité (Peirce 1) / Vers les représentations autour d’une identité professionnelle et du sens donné à leur pratique (Peirce 3) / Passant par l’acquisition de compétences relationnelles et émotionnelles en situation transculturelle et de précarité, induites par une implication personnelle vers une meilleure compréhension des patients pris en charge (Peirce 2). Dans ce contexte empathique de consultation avec un patient exilé, et de considération d’un objectif commun, découle une dimension humaine du soin, associée à un sentiment d’utilité sociale, perçus par les MG comme le reflet de leur expérience émotionnelle. » Le contexte de consultation où sont rapportées les violences et les tortures endurées par les patients migrants ainsi que le cadre juridico-administratif et économique entourant les soins dans ces situations, étaient mis en avant par les médecins qui expliquaient leurs affects en lien avec ces derniers. Les prises en charge étaient mobilisées autour des compétences relationnelles et émotionnelles des MG, développées et adaptées dans ce contexte. Conclusion : malgré la complexité de ces consultations et l'impact émotionnel fort chez les MG interrogés, ces derniers font preuve de résilience. Ils accompagnent leurs patients exilés dans ce même chemin de résilience, et les soutiennent tant sur le plan émotionnel, que médical et psycho-social, révélant l’aspect humain et relationnel au premier plan de ces prises en charge.