L’exégèse est une source d’histoire des représentations ; elle renseigne sur un imaginaire, une symbolique en ce qu’elle renseigne sur un système de valeurs par son rapport au récit biblique, une idéologie, puisqu’elle sous-tend, par sa dimension normative, une conception du monde toute entière. Trop souvent laissée de côté par les historiens pour son aspect répétitif, elle permet pourtant d’envisager une société différente de la nôtre, dont les « horizons imaginaires », les conceptions sur la santé mentale ou physique du corps humain, de l’esprit et des esprits nous échappent en partie. En étudiant un corpus d’exégèse biblique des Carolingiens Alcuin, Angélome de Luxeuil, Raban Maur, Paschase Radbert et Haymon d’Auxerre, ce mémoire dresse le tableau des différents vêtements – les « vestiaires », en référence au genre du bestiaire - évoqués, commentés et préconisés par nos différents exégètes. Son étude des notions de pudeur, de vêtement et de nudité souligne d’abord la position plurivalente du vêtement en tant qu’élément de définition anthropologique de l’homme ainsi que son poids dans le récit biblique. Remarquant que les différentes propriétés du vêtement sont souvent détaillées dans les textes, nous y analysons comment, à l’époque carolingienne et en mentalité analogique, l’objet doit toujours donner à voir l’intériorité de celui qui le porte. Ce travail considère également les concordances entre habit, Christ et unité afin d’observer leur rapport tacite à l’Empire carolingien et son Église. L’ambivalence des termes du vêtu et du dévêtu réfute nos considérations contemporaines binaires, y opposant des articulations ; au-delà des idées reçues sur le corps et le Moyen Âge, les exégètes proposent en effet d’attribuer au vêtement un sens pluriel. Dans ces textes, les différents habits subissent un phénomène de découpe propre à l’analogie, qui associe à chaque partie de l’habit sa façon, sa couleur, ainsi que des éléments du récit. Le vêtement, pour être pensé analogiquement, est en quelque sorte réduit. En somme, il n’est qu’un horizon théorique de nos textes. Si les vestiaires exposés par les exégètes carolingiens revêtissent parfois ici leurs fonctions traditionnelles (protection, pudeur, ornementation), ils servent surtout de « supports à penser », reliant des éléments disparates du récit chrétien. Incarnant la mise en relation propre aux sociétés analogiques, l’exemple du vêtement ouvre ainsi la voie à d’autres études de tout ce qui, à la manière de l’animal, peut figurer et être défiguré dans le discours médiéval.