Des écrivaines-journalistes en « fiction » ? Enjeux esthétiques, éthiques et épistémiques de la restitution de l'expérience immersive sous couverture, dans Nickel and Dimed : On (Not) Getting By in America de B. Ehrenreich et Le Quai de Ouistreham de F. Aubenas
Résumé
Barbara Ehrenreich et Florence Aubenas, écrivaines-journalistes, proposent dans Nickle and Dimed: On (Not) Getting By in America (2001) et Le Quai de Ouistreham (2010) de restituer une expérience immersive réalisée, respectivement, dans le milieu des « bas salaires » aux États-Unis, et des demandeur.euses d’emplois français suite à la crise de 2008. Dans l’héritage des reportages du XXe siècle et du New Journalism américain, mais aussi en écho à une littérature « non fictionnelle » dont la réflexivité éthique et épistémique est souvent marquée, ces textes affiliés constituent des objets hybrides : à la fois projets documentaires et œuvres stylistiquement travaillées, à forte dimension esthétique.
Si les rapports étroits entre littérature et journalisme ont conduit à analyser les stratégies de « fictionnalisation » de la restitution journalistique notamment dans le reportage (M.-È. Thérenty), l’expérience sous couverture pose ici spécifiquement la question de la « fiction » et de la représentation « fictionnalisée » de l’enquêtrice dès le moment de l’enquête.
Ce mémoire propose ainsi d’étudier la façon dont les problématiques posturales, éthiques et épistémiques de la couverture, soulevées à l’origine par la démarche d’immersion, s’incarnent et se développent dans les choix esthétiques singuliers des dispositifs de restitution. La représentation de la subjectivité des journalistes et de leur expérience propre ainsi que ses effets seront explorés, invitant à s’interroger sur la façon dont l’enjeu de la couverture se donne respectivement à lire dans les œuvres publiées : son degré d’explicitation et de problématisation, les éventuelles stratégies d’exposition ou de diversion mises en place face aux enjeux éthiques et épistémiques relevés (ou non), la scénographie de postures subjectives parfois paradoxales dans les textes, les conséquences des possibles limites de la démarche immersive sur la valeur épistémique du reportage, la revendication d’un apport spécifique des projets en matière de connaissance du réel. Les questions de réception seront pour finir brièvement abordées.
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