« Internet et les médias digitaux généralisés ont aménagé au storytelling une place qui n’était pas présente à l’époque où la télévision était le principal fournisseur narratif » affirme Éric Thomas Newsom. L’ère des plateformes digitalisées et connectées a en effet rendu à l’individu une certaine autonomie créative, lui permettant de produire et de partager ses œuvres via d’autres canaux que ceux de la télévision ou de l’édition – qui sont des domaines fermés et compétitifs. La sélection qui s’effectue ensuite de manière spontanée, entre les œuvres gagnant en notoriété et celles qui demeureront dans les zones d’ombre anonymes du web repose sur des phénomènes de diffusion de l’information et de critères d’appréciation subjectifs du plus grand nombre. Les narrations elles-mêmes voient leurs modalités de réception modifiées. Il sera ici question de la communauté d’écriture, qui invite et encourage à créer à partir d’une ou de plusieurs œuvres étalons s’accompagnant de directives diégétiques ou narratives particulières, ce qui se reflète sur le plan juridique avec l’existence de licences libres. L’acte même d’écrire devient un motif de réunion facilité par l’inter-connectivité, où le fait d’écrire avec la contrainte (et l’aide) de l’autre devient le thème principal d’une œuvre, secondé par le thème littéraire de l’objet qui résultera de cet exercice. Certains sites Internet se pensent comme un appel libre à la création littéraire en groupe à plus ou moins grande échelle. Cet appel peut prendre plusieurs formes : certains empruntent à la tradition du jeu de rôle en demandant aux auteurs-joueurs d’assumer le rôle d’un personnage et de participer à l’histoire en réagissant aux évènements présentés par les narrateurs ; d’autres reposent sur l’acte d’écrire uniquement en permettant aux auteurs de relayer leurs histoires plus librement ; d’autres encore investissent le procédé de création collaborative plus en détail en codifiant la création d’un univers commun que chacun peut enrichir à sa manière, y compris en reprenant les créations des autres auteurs pour ses propres productions. En raison de la nature nativement numérique du site à l’étude, les humanités numériques se révèlent nécessaires pour récupérer et ordonner les différentes données dans le but d’une étude quantitative des textes et éléments pertinents. On ne saurait toutefois se passer d’une étude plus qualitative, menée au plus proche de l’objet et sans le filtre computationnel, afin d’étudier, formaliser et quantifier la manière dont le processus créatif et littéraire s’organise dans un espace communautaire en ligne, pour répondre à la question de recherche suivante : quels sont les procédés sociaux, littéraires et créatifs mis en œuvre dans l’objet d’étude qui permettraient d’expliquer la création et la viabilité d’un tel écosystème ? Cela implique de questionner l’objet du point de vue de la théorie littéraire d’une part, en étudiant intertextualité et transfictionnalité, de l’autre du point de vue de la critique génétique, en examinant les divers procédés à l’œuvre dans la mécanique de création qui rendent cet écosystème littéraire viable, perméable et interfacé.