Au beau milieu du siècle des Lumières, que vient faire un texte qui, bien trop longtemps laissé aux rayons des bibliothèques d'universités, semble de prime abord être en rupture avec les idées de « rationalité triomphante », d'esprit « positif », idées que l'on retient principalement du XVIIIe siècle ? En effet, comment considérer La Poupée de Bibiena, écrit en 1747, alors que l'auteur d'origine italienne, Jean Galli da Bibiena, se fait un malin plaisir à embrasser une certaine forme de croyance populaire, celle de l'existence d'entités supérieures, païennes, les sylphes et sylphides, venus au royaume des hommes pour corriger les abbés passablement versés dans des pratiques libertines, outrageantes envers les femmes, tout autant qu'envers leur rang ? Entre théorie des formes, esthétique de la perception et éducation des sens d'un jeune abbé, nous lirons la fable comme une esthétique de l'existence qui s'affranchirait, tout comme le convie l'étymologie du mot « libertinus », d'une certaine conception des Beaux-Arts classique, en même temps que d'un certain style moral régissant les conduites amoureuses : grâce à un subtil entrelacement de narrations mises en abyme, la fable redéfinirait l'art du conte en même temps que l'art de séduire. Aidés des théories de Jean-Paul Sermain, Métafictions, de Michel Foucault entre autres et du savoir d'Annie Becq, nous verrons ce que Jean Galli de Bibiena a apporté de novateur au genre libertin, ainsi qu'aux débats éthiques de son temps. Nous essaierons de clarifier les contours insolites que l'auteur donne à son idéal de sociabilité et d'homme moderne, traversés par des fantasmes de libération sexuelle, où le corps et l'imagination seraient réhabilités, garants de valeurs morales.